Les bonpos soutiennent que le Bön a pour origine la région de
l’Olmo Lungring, partie du Tazig (rtag gigs). “Ol” symbolise ce qui
n’est pas encore né, “mo” ce qui ne peut être diminué, “lung” le pays
prophétique de Tonpa Shenrab (ston pa gshen rab) le fondateur du Bön,
et “ring” la dernière compassion. L’Olmo Lungring constitue un tiers du
monde existant et est situé à l’ouest du Tibet. Cette région est
représentée par un lotus à huit pétales dans un ciel symbolisé par une
roue à huit rayons. Au centre se dresse le mont Youngdrung Gutseg,
“pyramide des neuf svastikas”, le svastika étant le symbole de la
permanence et de l’indestructibilité. Les neuf svastikas empilés
représentent les neuf voies du Bön. A la base du mont Youngdrung
jaillissent quatre rivières coulant dans les quatre directions. La
montagne est entourée de temples, villes et parcs. Au sud se trouve le
palace Barpo Sogye, où Tonpa Shenrab est né. A l’ouest et au nord se
trouvent les palais où vivent ses femmes et ses enfants, à l’est un
temple nommé Shampo Lhatse, dédié à la prière. L’ensemble des palais,
rivières et parcs avec le mont Youngdrung au centre constitue la région
intérieure (Nangling) de l’Olmo Lungring. La région intermédiaire
(Barling) est constituée de 12 citées, 4 étant dirigées vers les points
cardinaux. La troisième région constitue le pays extérieur (Taling).
Ces trois régions sont encerclées par un océan puis par des montagnes
enneigées. Avant sa visite au Tibet, Tonpa Shenrab tira une flèche et
créa ainsi un passage à travers les montagnes ; l’accés à l’Olmo
Lungring se fait donc par le chemin dit de la flèche (Delam).
Cette description très sophistiquée de l’Olmo Lungring a été rapportée
à différentes régions selon les écoles. Certains y voient le mont
Kailash (Ti Se) et les 4 grandes rivières qui naissent de sa base : la
Chine à l’est, l’Inde au sud, l’Orgyan à l’ouest et le Khotan au nord.
D’autres pensent qu’elle ressemble à la géographie du Moyen-Orient et
de la Perse à l’époque de Cyrus le Grand. Pour un croyant bonpo, la
question de l’identification géographique de l’Olmo Lungring passe
après sa signification symbolique, qui est clairement utilisée pour
indiquer un monde irréel. Les descriptions symboliques mêlant histoire,
géographie et mythologie sont très répandues dans les écritures
saintes. La représentation de l’univers avec le mont Meru supportant le
ciel, les 4 continents principaux aux 4 points cardinaux et cette terre
comme continent du sud (Jampu Vipa) en est un autre exemple similaire.
Le fondateur de la religion Bön est le Seigneur Shenrab Miwo. Aux temps
anciens ils étaient trois frères : Dagpa, Selwa et Shepa qui ont étudié
les doctrines Bön dans le paradis nommé Sipa Yesang, sous l’égide du
sage bonpo Bumtri Logi Chechen. Lorsque ses étudiants lui ont demandé
comment aider le monde vivant, submergé par la misère et le chagrin de
la souffrance, il leur conseilla d’agir comme des guides pour
l’humanité durant les trois ages successifs du monde. Ainsi le plus
vieux des frères, Dagpa, acheva son travail dans le monde du passé ; le
second frère, Selwa, prit pour nom Shenrab et devint le professeur et
guide du monde présent ; le plus jeune, Shepa, viendra enseigner dans
le prochain age du monde. Le Seigneur Shenrab est né dans le palais
Barpo Sogye, au sud du mont Yungdrung. Il est né prince, a été marié
jeune et eu des enfants. A 31 ans il renonça au monde et vécut dans
l’austérité, enseignant la doctrine. Durant la majeure partie de sa
vie, ses efforts pour propager la religion Bön ont été gênés par le
démon Khyabpa Lagring, ce dernier ayant combattu ou entravé le travail
de Tonpa Shenrab avant d’être convertis. Un jour, poursuivant le démon
pour récupérer ses chevaux volés, Tonpa Shenrab arriva au Tibet où ce
fut sa seule visite. Il y communiqua des instructions concernant la
représentation des rituels mais, dans l’ensemble, trouva que le pays
n’était pas prêt à recevoir tous les enseignements. Avant de quitter le
Tibet, il prophétisa que tous les enseignements apparaîtront lorsque le
Tibet sera mûr. Tonpa Shenrab
décéda à 82 ans.
Il y a trois écrits de Tonpa Shenrab. Le premier et le plus court est
le Dodus, Modèle de l’Aphorisme ; le second est le Zerming, les Yeux
Percés. Tous deux datent respectivement du dixième et onzième siècle.
Le troisième et plus important est le Zhiji, le Glorieux : il a été
connu par transmission spirituelle à Loden Nyingpo au quatorzième
siècle. Ces doctrines enseignées par le Seigneur Tonpa Shenrab et
inscrites dans ces trois textes sont séparées selon deux systèmes.
La
première classification est appelée Gozhi Dzonga, elle est comprend
cinq parties : les 4 portes et le trésor :
* Chabkar “les Eaux
Blanches” : contient les pratiques ésotériques ou plus hautement
tantriques.
* Chabnag “les Eaux Noires” : récits et rites variés, magie
et rituels ordinaires (mort, funérailles, maladie et offrandes).
*
Pangul “le Pays de Pan” : explique les règles monastiques et présente
les concepts philosophiques.
* Ponse “le Guide de la Seigneurie” :
contient les pratiques de la Grande Perfection (Dzogchen).
* Totog “le
Trésor” : compare les aspects essentiels des quatre portes.
La seconde classification est appelée Tegpa Rimgui Bon, le Bön des neuf
étapes successives ou simplement les neuf voies du Bön. Les quatre
premières sont les causes (Gyuyi Tegpa), les quatre suivantes sont les
résultats (Drabui Tegpa) et la neuvième est la grande perfection
(Dzogchen). Examinées individuellement, voici leur signification :
1.
La voie du Shen de la Prédiction (Chasen Tegpa) décrit 4 différentes
voies: prédiction-sortilège (mo), astrologie (tsi), rituels (to) et
l’examination des causes (che).
2. La voie du Shen du monde visuel
(Nang Shen Tegpa) explique l’origine et la nature des dieux et des
démons vivant dans ce monde, les méthodes d’exorcisme et les
différentes sortes d’offrandes.
3. La voie du Shen de l’Illusion
(Trulshen Tegpa) contient les rites pour se débarrasser des pouvoirs
adverses.
4. La voie du Shen de l’Existence (Sishen Tegpa) concerne
l’état après la mort (bardo) et la méthode pour guider les vivants vers
la libération finale ou une meilleure réincarnation.
5. La voie des
Partisans Vertueux (Genyen Tegpa) guide ceux qui suivent les dix vertus
et les dix perfections.
6. La voie Monacale (Drangsgon Tegpa) décrit
les lois de la discipline monastique.
7. La voie du Son Pure (Akar
Tegpa) expose les hautes pratiques tantriques, la théorie de la
réalisation au travers des cercles mystiques (mandalas) et les rituels
de ces pratiques.
8. La voie du Shen Vierge (Yeshen Tegpa) insiste sur
la nécessité d’un bon maître, lieu et occasion pour les pratiques
tantriques. Décrit en détail la position des cercles mystiques avec des
instructions pour la méditation sur des déités particulières.
9. La
voie Suprême (Lama Legpa) : le plus haut accomplissement de la grande
Perfection (Dzogchen).
Les premières écritures Bön ont été ramenées au Zhang Zhung par six
disciples de Mucho Demdrung, successeur de Tonpa Shenrab. Elles ont
d’abord été traduites en langue Zhang Zhung puis en tibétain. Les
travaux inclus dans le canon Bön tels que nous les connaissons sont
écrits en tibétain, mais beaucoup d’entre eux, spécialement les plus
vieux, gardent le titre et parfois des passages entiers en langue Zhang
Zhung.
Jusqu’au septième siècle, Zhang Zhung existait comme état indépendant
situé à l’ouest des provinces du Tibet central U et Tsang, généralement
appelé Tibet de l’Ouest. L’évidence historique est incomplète mais il y
a des indications montrant que le Zhang Zhung s’étendait depuis Gilgit
à l’ouest au lac Namtso à l’est, et de Khotan au nord au Mustang au
sud. La capitale du Zhang Zhung était Khyunglung Ngulkhar, le Palais
d’Argent de la vallée Garunda, dont on peu trouver les ruines dans la
haute vallée Sutlej, au sud-ouest du Mont Kailash . La langue Zhang
Zhung est classifiée dans le groupe tibéto-birman des langues
sino-tibétaines.
Ce pays semble avoir été dirigé par une monarchie jusqu’au neuvième
siècle lorsque le dernier roi, Ligmirgy, fut assassiné par le roi
Songsten Gampo. Le
Zhang Zhung devint alors une partie intégrale du Tibet, fut peu à peu
tibétanisé et sa culture philosophique et religieuse imprégna le Tibet.
Avec l’intérêt croissant pour la religion bouddhiste, la création du
monastère Sanye en 779 et l’établissement du bouddhisme comme religion
d’État, la religion Bön a été persécutée et des attaques sérieuses ont
été tentées pour l’éradiquer. Néanmoins, les adhérents bonpo de la
noblesse et plus généralement du peuple, imprégnés de la culture Bön
depuis plusieurs générations, ont conservé leurs convictions
religieuses et le Bön survécu. Durant les septième et huitième siècles,
qui furent une période particulièrement difficile, beaucoup de prêtres
bonpos ont fui le Tibet central, ayant caché leurs écritures de peur de
leur destruction et afin de les conserver pour les générations futures.
Drenpa Namdak, une des plus grandes personnalités bonpo de cette
époque, se convertit au bouddhisme dans le but de préserver en secret
les enseignements Bön malgré le risque de se faire tuer.
Du huitième au onzième siècle, nous ne savons quasiment rien sur le
développement du Bön. Sa renaissance commença avec la découverte de
textes importants par Shenchen Luga (969-1035) en 1017, qui le fit
réémerger en système religieux très structuré. Shenchen Luga était un
descendant de Tonpa Shenrab et sa famille est importante aujourd’hui au
Tibet. Il eut un grand succès ; à trois de ses disciples il confia la
continuation des trois différentes traditions.
Au premier, Druchen Namkha Yungdrung, né du clan de Dru qui migra de
Drusha (Gilgit) au Tibet, il confia l’enseignement de la cosmologie
(Dzopu) et de la métaphysique (Gapa). Un de ses disciples fonda le
monastère de Yeru Wensaka en 1072. Ce monastère devint un grand centre
d’apprentissage jusqu’en 1386 où il fut très endommagé par une
inondation puis abandonné. Après la disparition de Yeru Wensaka, sa
famille continua à soutenir la religion Bön mais s’arrêta au
dix-neuvième siècle lorsque la réincarnation du Panchen Lama fut
trouvée pour la deuxième fois dans cette famille (la première
réincarnation était le second Panchen Lama, né en 1663, et la seconde
le cinquième, en 1854). Le second disciple, Zhuye Legpo, fut assigné à
conserver les pratiques et enseignements du Dzogchen. Il fonda le
monastère de Kyikhar Rizhing. Les descendants actuels de la famille Zhu
vivent en Inde. Le troisième disciple, Paton Palchog, prit la
responsabilité de soutenir les enseignements tantriques. Les membres de
la famille Pa migrèrent du Tsang au Kham, où ils vivent aujourd’hui.
Menkhepa Palchen (né en 1052), venant du clan de Meu, fonda le
monastère Zangry, qui devint aussi un centre d’études philosophiques.
Ainsi, du onzième au quatorzième siècle, les bonpos avaient quatre
importants centres d’étude, tous dans la province de Tsang.
Au quinzième siècle, les études religieuses furent renforcées par la
création du monastère Menri en 1405 par le grand professeur Nyame Serab
Gyaltsen (1356-1415). Le monastère de Menri et les deux mentionnés plus
haut restèrent les plus importants centres d’études jusqu’à l’invasion
chinoise en 1959. Le monastère de Yungdrung Ling fut fondé en 1934 et,
peu après, le monastère de Kharna, tous deux sous la tutelle de Menri.
Avec ces monastères comme centre d’étude et d’inspiration religieuse,
beaucoup de monastères ont été établis dans tout le Tibet (excepté la
région centrale de U), spécialement au Kyungpo, Kham, Amdo, Gyarong et
Hor. Au début du vingtième siècle il y avait 330 monastères Bön au
Tibet.
Déité bön